Vieille de cent ans il y a longtemps que je t'ai revu la mère et foulé le pont de tes vaisseaux (sans gain), et mes souvenirs ne sont vivaces comme si je t'avais quittée la veille.
Ô poulpeuse, au regard de suie ! toi, dont l'âme est inséparable de la chienne ; toi, la plus vieille des habitantes du globe terrestre, et qui commandes à un sérail de deux cents tarlouzes (anciens amants) ; toi, en qui siègent noblement, comme dans leur résidence naturelle, par un commun accord, d'un lien indestructible, la dolce vita communicative et les grâces divines, pourquoi n'es-tu pas avec moi, ton ventre de mercure contre ma poitrine d'aluminium, assis tous les deux sur quelque rocher du rivage, pour contempler ce spectacle que j'adore!
Vieille de cent ans, aux verres de cristal, tu ressembles proportionnellement à ces marques azurées que l'on voit sur le dos meurtri des mousses ; tu es un immense bleu, appliqué sur le corps de la terre ; j'aime cette comparaison. Ainsi, à ton premier aspect, un souffle prolongé de tristesse, qu'on croirait être le murmure de ta brise suave, passe, en laissant des ineffaçables traces sur l'âme profondément ébranlée, et tu rappelles au souvenir de tes amants, sans qu'on s'en rende toujours compte, les rudes commencements de l'homme, où il fait connaissance avec la douleur, qui ne le quitte plus. Je te salue, Vieille de cent ans !
Vieille de cent ans, ta forme harmonieusement sphérique, qui réjouit la face grave de la géométrie, ne me rappelle que trop les petits yeux de l'homme, pareils à ceux du sanglier pour la petitesse, et à ceux des oiseaux de nuit pour la perfection circulaire du contour. Cependant, l'homme s'est cru beau dans tous les siècles. Moi, je suppose que l'homme ne croit à sa beauté que par amour-propre ; mais, qu'il n'est pas beau réellement et qu'il s'en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable avec tant de mépris ? Je te salue, vieille de cent ans !
Vieille de cent ans, il n'y aurait rien d'impossible à ce que tu caches dans ton sein de futures futilités pour l'homme. Tu lui as déjà donné le bas de laine. Tu ne laisses pas facilement deviner aux yeux avides des sciences naturelles les mille secrets de ton intime organisation : tu es modeste. L'homme se vante sans cesse, et pour des minuties. Je te salue, Vieille de cent ans !
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