30/08/2025

Thérese elle peint comme elle baise

Quand je travaille je fais le blanc.



J’abandonne et j’efface pour laisser venir à moi le hasard et l’évidence dans leur plus grande clarté.

 

 

Quand je travaille je fais le vide et m’écarte de la connaissance.



 

Je me tiens dans l’ignorance de ce que je fais.



Si lentement je blanchi que je ne vois plus et que la peinture, elle, m’aveugle et me voit.

 


J’abandonne et jusqu’a la limite du visible j’efface pour être vue.

 




Le blanc entre dans la crainte d’être aveugle et dans le désir d’être aveuglée.

 



J’efface la construction rigoureuse et logique du dessin pour n’en garder qu’une trace, une auréole lisible par les arêtes où la cornée s’accroche.

 



Je peins en braille.


 



Pour voir j’essaye d’élargir à l’invisible le monde du visible.

 



Le blanc silence

 

 


le blanc rien le blanc = 0

 

 


le blanc néant et éternité. 


 




Le blanc la mort, l’oubli d’avant la naissance.
Je peins le pays du dessous; le calcium, les phosphates, les cendres.

 



Je fais une peinture exsangue, une peinture d’os; pas de graisse non plus, dans la pâte que je travaille.

 



Farine de nuit

 

 


Nuit blanche


 

 


Violente pâleur du matin après les yeux clos.

 



Et portant quand je ferme les yeux, je vois blanc.

 

 


La peinture me tient en éveil.




07/08/2025

Lamento della Ninfa


On reste jusqu'à l'heure où le Canal Grande prend une couleur plombée avant de disparaître sous les barques des maraîchers. Cependant, au détour des jardins secrets où crèvent des mouches à ventre blanc, à l'angle de palais que flanquent des lions galeux, un Styx sans saules ni roseaux, un flot d'encre clapote lugubrement. Peut-être la ville va-t-elle s'engloutir en un instant. La nuit apporte toujours quelque chose quand les miroirs s'abreuvent de ténèbres. Des lanternes passent vite sur un pont. Des chants sinistres et obscènes viennent on ne sait d'où. Un long cri résonne. Un fanal de galère brûle dans la cour d'un palais. On peut se rencontrer secrètement à l'Uomo Selvaggio, auberge mal famée où les servantes tiennent compagnie aux clients et qui sert une piquette nommée Alfabeto, à cinq soldi le gobelet. C'est un perfide breuvage qui verse du vitriol dans le sang, pose un salpêtre sur la langue, un philtre sale et vif qui fait parler. Elle et lui sont là en masques. De l'index, elle trace sur la table des figures dans une flaque de vin.



Vous riez parce que lors de votre séjour si cruellement bref à nos cœurs, vous n'avez vu que l'aspect le plus galant d'une ville où, dit-on, rien ne pèse ni ne dure. Mais qu'en est-il alors de ces jalousies, de ces meurtrières avidités ? Que signifient ces poignards, ces venons, ces sacs jetés dans le Canal nocturne... ?

Quelqu'un lit un billet qu'on ne lui destinait pas. On rince hâtivement un verre dans le cabinet de toilette. On chuchote dans une oreille penchée. On compte des ducats. On cachette une enveloppe. On empoche prestement l'éventail posé sur un guéridon. On épie le va-et-vient dans l'escalier. On étudie une oraison funèbre. On brûle une paire de gants. On entre dans un salon. On sort en masque. On contrefait sa voix pour donner des ordres au gondolier. On contrefait son écriture. On contrefait sa démarche. On veut d'abord faire goûter tout ce qu'on boit ou mange. On fait un compliment. On sait où se procurer le nécessaire, la jusquiame noire qui croît dans les décombres, la digitale des terrains siliceux, la mandragore debout dans l'ombre des halliers. On peut administrer tout ce qui vient des plantes dans la nourriture, les confiseries, les breuvages et, plus facilement encore, dans le clystère ou l'hostie.
Quelqu'un distille quelque chose dans le silence d'une cuisine nocturne. Quelqu'un montre un petit morceau de soie rongé par les rats et dit qu'ils en ont ainsi dévoré dix balles. Quelqu'un, dans un galetas des Fondamente Nuove, écrit à la lueur d'une chandelle.

 



Les figures respirent, marchent, tremblent et mentent, s'aiment ou s'entretuent, rient ou gémissent, mais jamais ne mangent sinon quelque poison. Qu'il en soit donc ainsi : je demeure présente, masquée par convention, tandis que dans une Venise à la veille de sa chute, des femmes gorgées de venin vont en crever comme des outres. Je me plais à les donner en spectacle, cependant qu'elles forment aussi le mien.


Le ventre, plein de gluantes agates, de courges bleues et pourpres, est une tique énorme, une coque chargée de rougeâtres voilures, de liquides gloussants, de toute une fressure aux sanglants replis, d'eaux bourbeuses, de cartilages, de masses vitreuses s'opalisant en jaune verdâtre, de spongieux foisonnements tassés les uns sur les autres comme des ordures dans un sac. 








03/08/2025

Guerres hier, guère demains

 Elles disent qu'elles ne pourraient pas manger du lièvre du veau ou de l'oiseau, elles disent que des animaux elles ne pourraient pas en manger, mais que de l'homme oui, elles peuvent. Il leur dit en redressant la tête avec orgueil, pauvres malheureuses, si vous le mangez, qui ira travailler dans les champs, qui produira la nourriture les biens de consommation, qui fera des avions, qui les pilotera, qui fournira des spermatozoïdes, qui écrira les livres, qui gouvernera enfin ? Elles alors rient en découvrant leurs dents le plus qu'elles peuvent.



Elles disent, tu es domestiquée, gavée, comme les oies dans la cour du fermier qui les engraisse. Elles disent, tu te pavanes, tu n’as d’autre souci que de jouir des biens que te dispensent des maîtres, soucieux de ton bien-être tant qu’ils y sont intéressés. Elles disent, il n’y a pas plus spectacle affligeant que celui des esclaves qui se complaisent dans leur état de servitude. Elles disent, tu es loin d’avoir la fierté des oiselles sauvages qui lorsqu’on les a emprisonnées refusent de couver leurs œufs. Elles disent, prends exemple sur les oiselles sauvages qui, si elles s’accouplent avec les mâles pour tromper leur ennui, refusent de se reproduire tant qu’elles ne sont pas en liberté.




Elles disent qu'elles appréhendent leurs corps dans leur totalité. Elles disent qu'elles ne privilégient pas telle de ses parties sous prétexte qu'elle a été jadis l'objet d'un interdit. Elles disent qu'elles ne veulent pas être prisonnières de leur propre idéologie. Elles disent qu'elles n'ont pas été recueilli et développé les symboles qui dans les premiers temps leur ont été nécessaires pour rendre leur force évidente. Par exemple elles ne comparent pas les vulves au soleil à la lune aux étoiles. Elles ne disent pas que les vulves comme les soleils noirs dans la nuit éclatant. 




Elles disent, esclave tu l'es vraiment si jamais il en fut. Ils ont fait de ce qui les différencie de toi le signe de la domination et de la possession. Elles disent, tu ne seras jamais trop nombreuse pour cracher sur le phallus, tu ne seras jamais trop déterminée pour cesser de parler leur langage, pour brûler leur monnaie d'échange leurs effigies leurs œuvres d'art leurs symboles. Elles disent, ils ont tout prévu, ta révolte ils l'ont d'avance baptisée révolte d'esclave, révolte contre nature, ils l'appellent révolte par laquelle tu veux t'approprier ce qui leur appartient, le phallus. Elles disent, je refuse désormais de parler ce langage, je refuse de marmotter après eux les mots de manque manque de pénis manque d'argent manque de signe manque de nom. Je refuse de prononcer les mots de possession et de non-possession. Elles disent, si je m'approprie le monde, que ce soit pour m'en déposséder aussitôt, que ce soit pour créer des rapports nouveaux entre moi et le monde.