J’ai ce relent de femme dans ma bouche et mes chaussures brûlées de
chaux, de cendre, de poussière, pareil que les Arabes-manœuvres sur le chantier.
Cette nuit, j’ai travaillé comme un ouvrier.
Je reviens de chez l’intéressée, qui présente des troubles
hystériques. La veille, l’intéressée a tenu à ce qu’on
assiste pour de vrai en banlieue à une partie de football.
L’intéressée a soigné ses cheveux, qu’elle a jolis, noirs et lissés.
Ses cheveux d’intéressée sont somptueux. Son cul aussi est joli, sobre.
L’intéressée existe vraiment, je m’efforce de m’en
convaincre. L’intéressée possède une poitrine, un regard
parallèle. Elle a aussi un visage, un visage fait d’ancienne
céramique. Je trouve sa peau pâlement foncée particu-
lièrement intéressante; et son sexe, je me dis, doit sentir
la feuille de thé, l’odeur un peu perdue d’un parfum
débouché. Mais ce sont surtout ses cheveux, lourds,
bleus, génétiquement très au point. L’intéressée n’est pas
bien, elle ment comme elle existe, elle porte des cica-
trices aux bras. Au départ, l’intéressée est une amie à moi
que j’ai.
C’était la première fois qu’elle allait voir une partie de
vrai football dans un vrai stade avec des vrais hommes;
l’intéressée paraissait possédée, subir d’autres états de
conscience. J’avais hâte de respirer dans l’intéressée, de
rentrer dans les plis de l’intéressée, d’être assis sur son
dos, de rompre la chaîne du froid. L’intéressée valsait au bord
du volcan. Elle poussait des cris suraigus, se frottait à
moi et miaulait d’une manière que je jugeais grotesque,
inhabituelle et pour tout dire déplacée. On était bien
situés, on voyait bien les buts. L’intéressée ignorait tout
des règles mais carcaillait des encouragements. L’inté-
ressée était hystérique, je me rappelle l’avoir toujours su.
Quand l’un de nos joueurs marquait, elle s’arrêtait de res-
pirer et mourait. Les gens autour nous reluquaient, tous
à moitié cons. D’un autre côté, je n’étais pas peu fier
d’être vu en possession de mon bien meuble, ma bête de
luxe, mon objet rare et compliqué, mes droits territo-
riaux. Quand il y avait but, de toutes ses forces elle frap-
pait mon épaule, de ravissement, d’agitation, enveloppée
d’une fine couche de démence. Elle mettait les mains
devant la bouche et se déchirait les traits, en proie à une
violente attaque d’orgasme. Elle me faisait mal. Je ne
disais rien et puis je n’étais pas à l’aise. Je trouvais splen-
dide l’intéressée entièrement nue sous ses vêtements tis-
sés d’angoisse et de subconscient. Elle me faisait craindre
le pire, plus que les coups. L’intéressée était douée d’une
certaine épaisseur. J’avais peur de toute cette pureté,
qu’elle ne s’éventre et, de mépris, devant tout le monde,
me jette ses viscères au visage. On ne sait jamais ce qui
peut se passer avec ces personnes qui existent.
On a pris le train pour rentrer sur Paris. On n’est pas
resté en banlieue, où les routes suent la poussière, où
déshabillée la ville accouche de la ville, où de grands
Nègres défigurés faisaient peur à l’intéressée.
Ç’avait été une chaude journée, poisseuse, la bière sans
manger me faisait une chirurgie.
Je la flairais nerveuse, humide sur sa chaise,
légèrement prise de boisson. Elle avait le poignet souple,
la gorge profonde, les yeux roses d’harassement et de
paradoxe. Pour elle aussi il y avait eu le soleil, toute la
sainte journée, qui avait cogné, elle me buvait du bout
des lèvres. Elle disait ne pas tout saisir ce que je disais,
que parfois elle me soupçonnait de poésie invraisem-
blable, de m’exercer au langage abstrait, de vivre de
l’autre côté des mots.
Je lui ai répondu naturellement
ce que j’en pensais maintenant de la poésie, pègre des
lettres, que j’aimerais mieux crever. Elle souriait-
acquiesçait. À la troisième pinte, l’intéressée était
subjuguée de dégoût pour son désir, refoulé par vagues,
par gros temps. Elle a pris ma main, me pressant pour
qu’on en finisse. L’intéressée a dit que non, qu’il ne se
passerait rien ce soir. Elle produisait une quantité peu
ordinaire de sérotonine et j’aimais assez cette honnê-
teté, ces façons un peu saxonnes. J’appréciais modéré-
ment qu’elle me trouvât, soulignait-elle, pour elle qui
revenait de loin, «exotique». L’intéressée était beurrée,
sentait la tise montée sur des moulins à vent. Elle m’a
expliqué pour ses parents, pour son enfance, tellement heureuse et malheureuse.
Elle disait qu’elle était désolée, mais qu’elle n’y pouvait
rien. Elle racontait des choses communes, d’après moi
d’intérêt mineur, réputées éclairantes. Elle venait d’une
autre sphère de l’existence, là où les fils prodigues ont
l’air heureux et les dents bien plantées. Elle était pour-
tant née du bon côté du revolver. La vie est une vallée de
larmes, m’exposait en substance l’intéressée.
10/08/2007
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