15/03/2024

Dans la proximité de la promise cuitée (aproximativement)

Je ne bouge absolument pas je reste assise cruellement là, dis-je à Ely, ce début ne semble pas assez triste, Pétrarque, « études » sera peut-être le titre du prochain livre, inconcevable le plumage, il y a ces papillons de nuit qui boivent les larmes des hommes, dis-je à Ely, empleurement / enforestement de l’âme, dis-je, les pointes des montagnes les pointes des tulipes – le médecin au téléphone raconte qu’il a entaillé lui-même son doigt douloureux (tout comme s’entaillent les patients borderline).  


 Il y a eu 1 coup de tonnerre tel dans la nuit j’ai pris peur, dis-je à Ely, j’étais secouée par la peur, dis-je, mon cœur tremblait, je me suis faufilée vers la porte de l’appartement et j’ai guetté à travers l’espion ou judas pour voir si quelqu’un dans le couloir s’approchait de ma porte, avant que le judas ne s’éteigne, etc., au matin je congédie la bave sur le parquet, dis-je, où éclosent les glaïeuls, le crachat les fait éclore 1 forêt entière de glaïeuls, de couleur orange couleur mauve bleue, durant plusieurs semaines ces fleurs fanées sur les toilettes, glaïeuls petits troncs des lilas feuilles de palme, pivoines se vidant de leur sang, plagiats, ce qui me rendait folle, « effleurée par la grâce », selon Jean Genet, on appelle l’ancolie aussi gant de Notre-Dame  Mignon, désormais, quant à savoir comment écrire, je suis troublée, dis-je à Ely, je suis 1 peu somnambule, quelque chose en moi se dessine, quoique l’intellect, je ne dis pas qu’il n’y ait aucune part, j’imaginais des lettres à Rumi ou E.S., en écrivant des lettres sur le lit j’ai dépassé du bord de la feuille et continué à écrire sur le duvet si bien que sur mon lit des traces de feutre noir……  
notre lit est notre bureau, dis-je, c’est ici qu’on dort qu’on écrit, parfois nous allons au jardin botanique (avec ses petites roses adonis), nous étions assis sur l’estrade face à la salle de lecture et je dessinais pour toi un oiseau aux ailes déployées censé signifier que nous pourrions voyager en avion, dis-je, les phrases une à une, dis-je, alignées assemblées pour composer des suites, comme Couperin ses concertos pour clavecin, je m’éveille avec les mots «  villages de parvenus » –  
après des semaines de grande chaleur il y eut un matin 5h moins le ¼ un pressentiment d’orage, ce qui brusquement m’éveilla, c’était comme si 1 immense roche se décrochait et roulait dans la vallée. 

 

Les feuilles sur mon bureau ont volé en l’air et tourbillonné dans toute la chambre au même moment je sentais que mon intestin comme 1 pelote de serpents furieux, j’allais bientôt vomir, tout cela après des rêves bienveillants, puis l’orage s’endormit et l’air du matin s’accroupit dans un coin de la chambre, le quartier de Josefstadt trempé dans la chope pleine, les 1ères voix des oiseaux les parures de l’été le parfum des bouquets de fleurs à la fenêtre les animaux qui ne riaient pas dans leur contemplation quelque chose en moi faisait rage, Brigitte St. dit au téléphone la vie ratée mais les beaux-arts, la lune se glissa dans les coulisses dormir plus la peine d’y songer, l’agneau dans le ciel bleu on le trouve dans les églises romaines je lis dans le glas de JD, 1 éclat, Splitter, est fragment et lumière, le drap gorgé d’humidité, je dis qu’il y avait bien quelqu’un dans mon enfance qui s’appelait Joschi portant un maillot de bain à rayures et dont je répugnais à prononcer le nom à vrai dire j’avais honte de prononcer ce nom (il portait probablement un froc réséda selon Jean Genet). 
 


 
Les liserons qui le long de la clôture en bois abîmée par le temps noircie par les intempéries des décennies grimpaient comme des clématites à cette époque lors des étés à D. Plus on superpose de couches et plus chaste le corps. Ely et moi dans le verger de ce restaurant hier soir et il disait c’est sûr tu écriras de nouveau dans le livre des poètes, vraiment, dis-je, 1 entreprise périlleuse, entamer l’écriture d’un nouveau livre – 


 

07/02/2024

Notre Dame du destin aveugle

 Les fêtes de fin d’année sont passées. Des nappes de brume stagnent au-dessus du fleuve, on dirait des voiles de mariée que l’hiver a piétinés. Le temps file entre les doigts ou stagne en mare d’huile. Rares sont les occasions où il se montre prodigue, montgolfière gonflée à bloc qui s’élève dans les airs. Sans cesse elle se déçoit. Comment trouver la joie, la voie qui permette de vivre sans mentir, sans trahir celle d’autrefois ? Les lézardes du temps, elle les mesure à une amertume récente, encore ténue. Promesses non tenues, amitiés défaites, amours effilochées, ravaudées, sa mémoire les épingle avec la méticulosité maniaque d’un collectionneur de papillons. Ses rêves toujours répètent la première fois. Elle décompte les jours et les heures, croise les doigts, conjure les contretemps en égrenant des formules magiques de petite fille en mal de miracle. Elle s’applique à couvrir la trame de points sages. L’ennui passe en revue les jours serrés tels les soldats de plomb sous vitrine. À chaque fois qu’elle entame une nouvelle tapisserie, le cœur défaille. Car il en faut du courage pour envisager avec sang-froid tout ce temps à venir, dans l’inutile et futile travail d’aiguille qui trompe le désir en mal de devenir. Les promeneurs vont et viennent, des pastilles de couleur dansent entre les branches. Des conversations taquinent le temps, la braise d’une cigarette rougeoie. Le soir tombe, une fleur perd ses pétales. La vie est là. Le cœur s’abandonne à la présence qui palpite avant que la fatigue ne retire l’échelle. Devant l’immense plage vierge, elle suspend son pas, sent dans son dos un gros chien noir tapi dans l’ombre prêt, à la première défaillance, à bondir sur sa proie. Elle se tient à distance, sur le qui-vive. Le spectre passe son chemin. L’entame de la lumière est abrupte et franche comme une blessure ouverte. La soirée diffuse une douceur de buvard propice à la mélancolie. Le brouillard tombe sur le canal. Le corps pèse comme un sarcophage. Sur la table de nuit, une pile de livres, une carafe d’eau et une plaquette de somnifères. Tous les soirs, elle avale ses petites pilules pour dormir. Elle se roule en boule, déjà lasse du voyage. Des cernes lui endeuillent le visage. Du fond du précipice, ses souvenirs lancent des borborygmes, ses rêves décrivent des obsessions circulaires pareilles aux roues des fêtes foraines où prise de vertige, elle se raidit. Elle s’imagine ailleurs, dans un monde où le désir s’alimenterait de lui-même sans craindre les eaux croupies de l’habitude et la saveur saumâtre qui entame chaque trouvaille. Ce qui lui donne l’air si las, c’est la vie et ses aléas. 

 


Elle ne sait comment combattre le mal qui l’accapare. Elle rêve de poser sa tête contre l’épaule d’un ami ou de coller son oreille au coquillage qui réinvente la berceuse des origines. Elle se fatigue vite et grince des dents. Quand elle enrage, son corps se détraque. Elle se rue dans le premier café venu, livide se dirige vers les toilettes sans passer commande. C’est la grande vidange du ressentiment. À corps et à cri, elle réclame des raisons de vivre. Elle n’a pas demandé à naître. Elle contemple l’amas chaotique de ses apprentissages, se demande sur quel chaland charger reliques et souvenirs, pertes et profits accumulés sans distinction de genre. Elle aime le feu et la glace, les pluriels contradictoires, vire de bord sans prévenir. Le temps découvre ses récifs. Elle boit la tasse, dérape, vit en automate. C’est la débandade d’un esprit qui se rêve libre et sans limites. Le ciel est gris, la boîte aux lettres vide. L’esprit mouline, le cœur chavire, promène sa lampe au-dessus du puits où gisent les débris. Il est tellement facile de se poser en victime, de cracher sur la vie. Elle dit rarement merci, laisse l’ennui anéantir le rêve fraternel. Le temps s’enténèbre, il n’est nulle part où aller. Elle trouve toujours un prétexte pour se distraire, a plus d’un tour dans son sac pour remettre à plus tard. On la croit tenace. C’est mal connaître son tempérament velléitaire. L’effort l’effraie. Par tous les moyens, elle fuit l’épreuve du feu, tout plutôt que d’affronter le blanc de la page. Elle s’épuise à simplement survivre, achète des livres qu’elle empile sans trouver la force de les ouvrir. 

 

Dans la lumière blafarde elle va son chemin, cherche un signe qui allège son fardeau, une trouée dans le cachot où l’angoisse la tient prisonnière. Elle dérive dans la ville, déniche des curiosités sans valeur dont elle s’entiche. Sa détresse ferait sourire ceux qui se sont arrangés avec la réalité, bricolé un bonheur de fortune sans exiger que les rêves tiennent leurs promesses. Chacun a mis de l’eau dans son vin. Elle reprend son chemin de pèlerin sans foi, dans le labyrinthe du désarroi espère croiser son sauveur. Elle guette la connaissance qui marie les contraires, amalgame les genres et les espèces, confond le masculin et le féminin, l’homme et la bête. Cette façon qu’elle a de tout mêler sans discernement. L’émoi toujours la ramène à la confusion, au grand transbordement de l’ancêtre dans ses bras. Elle reconnaît ses frères dans les simples d’esprit à l’œil vague, qui se réveillent la nuit, en nage. Comme eux, elle se tord les mains, poursuit d’impossibles chimères qui crèvent en migraines. Elle s’arc-boute, conteste les figures tutélaires. Il lui plaît de croire que son père en secret l’approuvait. Pour se prouver qu’elle existe, elle résiste, va à l’encontre de son penchant craintif. Tel le poseur de mines, elle jubile à proportion du chaos qu’elle favorise. Les ruines seules la réjouissent. Elle rue dans les brancards mais finira le ventre gonflé par les eaux de la Seine, méduse collée au couvercle du ciel. À moins qu’elle ne moisisse dans un asile, les seins fanés, l’esprit congestionné par le désarroi. Ces manies qu’elle a d’animal qui se traque. De l’espérance, il ne reste que le trognon. Elle a les yeux qui s’éteignent à force de fixer le noir. L’eau froide dont elle s’asperge lui coupe le souffle, lui rougit les yeux sans tarir les larmes. Elle se déteste de tant se décevoir, voudrait consentir à la vie ordinaire mais son poing toujours se crispe. Si elle disparaissait, on s’en apercevrait à peine tel un cierge soufflé par un courant d’air.