09/01/2007

Nous sommes de l'étoffe dont les rêves sont fait

Le curé l’examina fort soigneusement, mais ne parvint à découvrir sur son corps aucune marque du démon. Le dimanche suivant, on la conduisit à l’église, où elle ne manifesta point de signes d’inquiétude, sinon qu’elle gémit quand elle fut mouillée d’eau bénite. Mais elle ne recula pas devant l’image de la croix, et, passant ses mains sur les saintes plaies et les déchirures d’épines, elle parut affligée.



Les gens du village en eurent grande curiosité ; quelques-uns de la crainte ; et, malgré l’avis du curé, on parla d’elle comme de la « diablesse verte ».



– Terrible, ça, dit la fillette, parce que ça saigne du sang blanc.
Elle incisait avec ses ongles des têtes vertes de pavots. Son petit camarade la regardait paisiblement. Ils avaient joué aux brigands parmi les marronniers, bombardé les roses avec des marrons frais, décapuchonné des glands nouveaux, posé le jeune chat qui miaulait sur les planches de la palissade. Le fond du jardin obscur, où montait un arbre fourchu, avait été l’île de Robinson. Une pomme d’arrosoir avait servi de conque guerrière pour l’attaque des sauvages. Des herbes à tête longue et noire, faites prisonnières, avaient été décapitées. Quelques cétoines bleues et vertes, capturées à la chasse, soulevaient lourdement leurs élytres dans le seau du puits. Ils avaient raviné le sable des allées, à force d’y faire passer des armées, avec des bâtons de parade. Maintenant, ils venaient de donner l’assaut à un tertre herbu de la prairie. Le soleil couchant les enveloppait d’une glorieuse lumière.



– Oui, mais, dit-il, Barbe-Bleue aurait eu le temps de te tuer. Sœur Anne était sur la tour, pour regarder l’herbe qui verdoie. Ses frères, qui étaient des mousquetaires très forts, sont arrivés au grand galop de leurs chevaux.
– Je ne veux pas jouer comme ça, dit la fillette. Ça m’ennuie. Puisque je n’ai pas de sœur Anne, voyons.
Elle se retourna gentiment vers lui :
– Puisque mes frères ne viendront pas, dit-elle, il faut me tuer, mon petit Barbe-Bleue, me tuer bien fort, bien fort !
Elle se mit à genoux. Il saisit ses cheveux, les ramena en avant, et leva la main.



Lente, les yeux clos et les cils frémissants, le coin des lèvres agité par un sourire nerveux, elle tendait le duvet de sa nuque, son cou, et ses épaules voluptueusement rentrées au tranchant cruel du sabre de Barbe-Bleue.
– Ou… ouh cria-t-elle, ça va me faire mal !



musique écoutée : métropolitain - Kent
livre lu : L’Imaginaire érotique au Japon - Agnès Giard

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