07/01/2007

Sly doubt

il s' agissait de renverser la proposition, d'amortir les tons, de les éteindre par le contraste d'un objet éclatant, écrasant tout autour de lui, jetant de la lumière d' or sur de l'argent pâle. Ainsi posée, la question devenait plus facile à résoudre. Il se détermina, en conséquence, à faire glacer d'or la cuirasse de sa tortue. Une fois rapportée de chez le praticien qui la prit en pension, la bête fulgura comme un soleil, rayonna sur le tapis dont les teintes repoussées fléchirent, avec des irradiations de pavois wisigoth aux squames imbriquées par un artiste d' un goût barbare. Il fut tout d' abord enchanté de cet effet ; puis il pensa que ce gigantesque bijou n'était qu'ébauché, qu'il ne serait vraiment complet qu'après qu' il aurait été inscrusté de pierres rares. Il choisit dans une collection japonaise un dessin représentant un essaim de fleurs partant en fusées d' une mince tige, l'emporta chez un joaillier, esquissa une bordure qui enfermait ce bouquet dans un cadre ovale, et il fit savoir, au lapidaire stupéfié que les feuilles, que les pétales de chacune de ces fleurs, seraient exécutés en pierreries et montés dans l'écaille même de la bête.



Le choix des pierres l'arrêta ; le diamant est devenu singulièrement commun depuis que tous les commerçants en portent au petit doigt ; les émeraudes et les rubis de l' orient sont moins avilis, lancent de rutilantes flammes, mais ils
rappellent par trop ces yeux verts et rouges de certains omnibus qui arborent des fanaux de ces deux couleurs, le long des tempes ; quant aux topazes, brûlées ou crues, ce sont des pierres à bon marché, chères à la petite bourgeoisie qui veut serrer des écrins dans une armoire à glace ; d' un autre côté, bien que l' église ait conservé à l' améthyste un caractère sacerdotal, tout à la fois onctueux et grave, cette pierre s' est, elle aussi, galvaudée aux oreilles sanguines et aux mains tubuleuses des bouchères qui veulent, pour un prix modique, se parer de vrais et pesants bijoux ; seul, parmi ces pierres, le saphir a gardé des feux inviolés par la sottise industrielle et pécuniaire. Ses étincelles grésillant sur une eau limpide et froide, ont, en quelque sorte, garanti de toute souillure sa noblesse discrète et hautaine. Malheureusement, aux lumières, ses flammes fraîches ne crépitent plus ; l' eau bleue rentre en elle-même, semble s' endormir pour ne se réveiller, en pétillant, qu' au point du jour.



Il fit ruisseler entre ses doigts des minéraux plus surprenants et plus bizarres, finit par trier une série de pierres réelles et factices dont le mélange devait produire une harmonie fascinatrice et déconcertante. Il composa ainsi le bouquet de ses fleurs : les feuilles furent serties de pierreries d' un vert accentué et précis : de chrysobéryls vert asperge ; de péridots vert poireau ; d' olivines vert olive ; et elles se détachèrent de branches en almadine et en ouwarovite d' un rouge violacé, jetant des paillettes d' un éclat sec de même que ces micas de tartre qui luisent dans l' intérieur des futailles.
Pour les fleurs, isolées de la tige, éloignées du pied de la gerbe, il usa de la cendre bleue ; mais il repoussa formellement cette turquoise orientale qui se met en broches et en bagues et qui fait, avec la banale perle et l' odieux corail, les délices du menu peuple ; il choisit exclusivement des turquoises de l' occident, des pierres qui ne sont, à proprement parler, qu' un ivoire fossile imprégné de substances cuivreuses et dont le bleu céladon est engorgé, opaque, sulfureux, comme jauni de bile.



Musique ecoutée : red mecca - Cabaret Voltaire
livre lu : Unica - Elise Fontenay

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